TEXTES

 

JE MARCHE DANS LES VILLES

Moi je marche dons les villes
Les banlieues les bidonvilles
Sur le pavé des ports
Et sur l'asphalte vil
Visitant le décor
Des amours difficiles

Moi je suis l'amateur d'ombres
L'explorateur des décombres
Le croiseur du grand vide
L'amant de la pénombre
Le flâneur intrépide
Aux fantasmes sans nombre

Moi je ressemble aux rois-mages
A la poursuite d'un mirage
D'une étoile équivoque
Eclairant les visages
Des habitués des docks
En quête de naufrage

Moi je suis le rôdeur pâle
Loin des rues principales
Dans les quartiers déserts
Le petit Sardanapale
Des dimanches de misère
Aux douches municipales

Moi je hante le hall des gares
A l'heure des troufions hagards
Traçant des graffitis
A l'abri des regards
Le dernier train parti
Quand la raison s'égare

Moi je suis l'homme immobile
Des périphéries tranquilles
Le liseur de journal
Au regard trop habile
Debout près du canal
A ses risques et périls

Moi j'arpente les passages
Témoin des équarrissages
Me payant des galas
De jeux anthropophages
Accélérant le pas
Si ça devient sauvage

Moi je suis celui qui drague
Les chantiers les terrains-vagues
Le passant dérisoire
Sans portefeuille ni bague
Pressentant le rasoir
A défaut de la dague

Moi j'ai choisi pour seule cible
Les passions indicibles
Qu'importe que j'y perde
Je veux l'inaccessible
Je cherche l'impossible
Le diamant dans la merde

 

Moi je marche dans les villes
Les banlieues les bidonvilles
Sur le pavé des ports
Et sur l'asphalte vil
Visitant le décor
Des amours difficiles

Pierre Philippe/Michel Cywie
Universal Music Publishing & Editions Est-Ouest Music
©: 1980 Avec l'aimable autorisation des Editions Universal Music Publishing, Paris.

DJEMILA

La première fois que je l'ai vue
C'était l'heure des poubelles
Elle marchait au milieu de la rue
L'air hautain et rebelle
Bouclée dans un imper d'argent
Sur des talons aiguilles
Elle semblait ne pas voir les gens
Et leurs tristes guenilles
D'abord je n'ai pas vu ses yeux
Sous sa crinière en casque
Car tout autour y avait tant de bleu
Qu'on aurait dit un masque
C'était comme la reine de Saba
Allant sans nul cortège
Une démone rentrant du sabbat
Nimbée de sortilèges
J'en suis resté là bouche bée
Contemplant la coquette
Et pour un peu laissant tomber
Mon lait et ma baguette

Dites savez-vous son adresse
Moi je ne veux rien que cela
Qu'elle fige son pas de déesse
Pour m'accorder un regard las
Je voudrais que mon tourment cesse
Et qu'un matin, fille d'Allah
Tu ramasses mon coeur en pièces
Toi qu'on appelle Djemila

Voilà pourquoi chaque matin
Je descends dans ma ruelle
Au coin de la rue Saint-Martin
Espérant voir la belle
J'en vois de toutes les couleurs
Des tas de jouvencelles
Des allemandes en chaleur
Aux cheveux de ficelle
Des flots de nanas sans apprêt
Des féministes en mauve
Qui si vous les lorgnez de près
Vous lancent un regard fauve
Des filles qui vont à Pompidou
Admirer des peintures
Des Hollandaises et des Hindoues
Marchant vers la culture
Des seins ou bien des fesses
Des fois y en a une bien
Mais pas une n'a autant de chien
Que mon enchanteresse

Comment revoir la traîtresse Qui jamais plus ne gravitât
Entre Beaubourg et ma détresse
Vous pouvez voir le résultat
Dites elle a bien une adresse
Ma Salomé ma Dalila
Celle qui mit mon coeur en pièces
Et qu'on appelle Djemila

Enfin hier je l'ai revue
L'étrange Sarrasine
Elle faisait à moitié nue
La une d'un magazine
Il paraît qu'elle est de jet-set
Qu'elle fréquente le "Palace"
Saint-Germain-des-Prés et le "Sept"
Qu'elle adore la Callas
Mais qu'elle voudrait chanter du rock
Dans un groupe de lesbiennes
Qu'elle se sent bien dans une époque
Si antédiluvienne
Ça ne m'a pas vraiment étonné
Ce que disait la lionne
Ç'aurait été trop suranné
Qu'elle fut bien mignonne
Et je me dis: si elle me voit
Bien sûr qu'elle passera outre
Et qu'un pauvre type comme moi
Elle n'en a rien à foutre

Si vous voyez la diablesse
Ne lui parlez pas de tout ça
De l'endroit où le bât me blesse
Ni de mes chaînes de forçat
Vous pouvez garder son adresse
Moi je ne veux rien que cela
Recoller mon coeur en pièces
Et t'oublier Djemila

Pierre Philippe/Michel Cywie
Universal Music Publishing & Editions Est-Ouest Music

©:1980 Avec l'aimable autorisation des Editions Universal Music Publishing, Paris.

CHANSON POUR LE CADAVRE EXQUIS

Je ne croyais plus pouvoir aimer un être humain
Avant que je n'ai vu sous la lumière verte
Tes longs cheveux dorés et ta poitrine ouverte
Il en est tant passé de corps entre mes mains
Mais j'ai compris que toi sans que nul ne l'apprenne
Tu serais l'être enfin que je pourrais chérir
Et qu'en toi jusqu'au jour je jouirai à mon tour
A mourir de plaisir avant qu'ils ne te prennent

Notre roman d'amour
On n'en doit pas parler
Est-ce encore de l'amour
Que de l'amour volé
Ecartelé
Au lit de fer chromé
On n'en doit pas parler
Nul ne doit en douter
Et nul ne le saura
Pas même toi!

Ta vie est dans ce seau avec ton coeur aimant
Je ne sais rien de plus je ne veux pas savoir
Qui tu étais hier et que put décevoir
Ton pauvre coeur crevé par un quelconque amant
Car j'aurais beau te prendre à t'en anéantir
Explorer tous les plis de ton corps évidé
Ses mille et un méandres aux couleurs d'orchidées
Ton corps restera froid comme celui des martyrs
Notre roman d'amour
On n'en doit pas parler
Est-ce encore de l'amour
Que de l'amour vidé
Raccommodé
Aux draps de toile cirée
On n'en doit pas parler
Nul ne doit s'en douter
Et nul ne le saura
Pas même toi!

Je t' ouvre je te force je t'assassine encore
Je te traite en esclave je te traite en putain
J'oblige à l'infamie ton sourire incertain
Pourquoi me réfréner puisque tu n'es qu'un corps?
Quel est ce monstre en toi? Me disent tes yeux sombres
Que puis-je te répondre: c'est ma façon d'aimer
D'autres courent dans la nuit comme des affamés
Moi je ne viole personne je ne pollue qu'une ombre

Demain je recoudrai tes blessures ouvertes
Je fermerai tes yeux comme font ceux qui croient
Tes mains que je profane étreindront une croix
Je te ramènerai sous la lumière verte
Demain il sera temps pour l'indifférent qui
Pleurera sur ton sort pour ta pieuse famille
Il sera temps demain que je te remaquille
Après m'être gorgé de ton cadavre exquis.

Pierre Philippe/Michel Cywie
Universal Music Publishing & Editions Est-Ouest Music
© 1980 Avec l'aimable autorisation des Editions Universal Music Publishing, Paris.