TEXTES


 J'ai marché dans les villes
Pierre Philippe/François Hadji Lazaro

Et moi j'ai marché dans les villes
Comme dans autant de vieux décors
De l'opéra bien inutile
Dont je me croyais le ténor

J'ai marché au sein de ces foules
Qui acclamaient je ne sais plus qui
Et j'ai vu comment leur sang coule
Pour peu que s'énervent les képis

J'ai marché le long des vitrines
Tout au long des longs murs souillés
Et j'ai pissé dans les latrines
De maints quartiers déconseillés

Marche [Marche Marche]
Chante-la nous encore ta rengaine
Marche [Marche Marche]
Regarde : le jour se lève à peine
Marche [Marche Marche]
Tu n'es pas au bout de tes peines

Marché marché de par le monde
Sous les hauts néons de Tokyo
Dans Venise la moribonde
Et sur l'échiquier de Rio

A Hambourg la rouge et perverse
J'ai buté sur un simili
D'accordéon de Hans Albers
Expirant à Sankt Pauli

Dans Prague dans Buda et dans Pest
J'ai marché comme un galérien
Et j'ai marché sans fin dans Brest
Dans Brest dont il ne restait rien

Marche [Marche Marche]
Chante-la nous encore ta rengaine
Marche [Marche Marche]
Regarde : le jour se lève à peine
Marche [Marche Marche]
Tu n'es pas au bout de tes peines

Où étiez-vous mes chers rebelles
Et pourquoi fuir mes " I love you "
Soldat Chveïk ou matelot Querelle
Mes va-nu-pieds et mes voyous

Toi le petit Jésus toi la Caille
Djemila mi-cuir mi-satin
Gagneuses au volant ou piétaille
Mon dieu que j'aimais les putains

Et vous aussi toutes mes grandes gueules
Là-haut Quasimodo perché
Gavroche et Till Eulenspiegel
Dans l'éléphant ou le clocher

Marche [Marche Marche]
Chante-la nous encore ta rengaine
Marche [Marche Marche]
Regarde : le jour se lève à peine
Marche [Marche Marche]
Tu n'es pas au bout de tes peines

J'ai marché dans les villes mortes
Dans Dresde et dans Hiroshima
Plus la peine de forcer les portes
C'est toujours le même cinéma

C'est noir et l'on croirait la forge
D'un Vulcain devenu fou furieux
On a de la poussière plein la gorge
On a du chaos plein les yeux

C'est Coventry et c'est Sodome
Pas la peine de faire un dessin
Une ville ça meurt tout comme un homme
Et ses anges sont ses assassins

Marche [Marche Marche]
Chante-la nous encore ta rengaine
Marche [Marche Marche]
Regarde : le jour se lève à peine
Marche [Marche Marche]
Tu n'es pas au bout de tes peines

J'ai marché dans des villes fétides
Buenos-Aires avec Evita
Et Gardel pour seules cariatides
Attendait d'autres golgotha

Los Angeles la délétère
Las Vegas et Mahagonny
Il y a tant de villes sur cette terre
Qui n'espèrent que leur agonie

Et qui pour cela se repoudrent
Fleur de coca cœur de pavot
Tandis qu'au loin tombe la foudre
Sur Beyrouth et Sarajevo

Marche [Marche Marche]
Chante-la nous encore ta rengaine
Marche [Marche Marche]
Regarde : le jour se lève à peine
Marche [Marche Marche]

Tu n'es pas au bout de tes peines
Ah qu'on ne me parle plus de ruelles
De grands boulevards et de faubourgs
Ni de ces métropoles cruelles
Où j'ai mendié un peu d'amour

Là ce n'était rien que deux routes
Un carrefour défavorisé
De l'herbe et des flaques de mazout
C'est pourtant là qu'on s'est croisés

Toi aussi tu venais de Charleville
Et quand tu m'as demandé ton chemin
Tu es devenu ma dernière ville
Et je'n' t'ai plus lâché la main

© 1999 avec l'aimable autorisation de EMC.
Tous droits réservés.

 

Une valse de 1937
Pierre Phillipe/Romain Didier

Regarde le ciel est bleu au-dessus de Suresnes
Mon amour c'est dimanche et les beaux jours sont là
C'est tout exprès pour nous que la radio égrène
La rumba que Tino chante à Marinella

Quand pour monsieur Renault toute la journée on trime
Fin de semaine en peut bien comme font tous les braves gens
Se délasser gentiment et c'est pas un grand crime
D' rêver un peu d'amour et de frites à Nogent

Toi tu dis en t' moquant qu'avec ma belle gapette
Je prends un drôle de genre voyou à la Gabin
Mais que je dois si j' veux faire tout à l'heure ta conquête
Aux douches municipales me décrasser un brin

Car comme Blum l'a écrit il faut au prolétaire
De l'hygiène un vélo la route et des chansons
Le Tréport cet été sera notre Cythère
Ouvre donc Marie-Claire pour choisir nos caleçons

En attendant ma blonde entends-tu dans la ville
Mugir le défilé pour ceux de Guernica
Faut y aller et après on remont'ra à Belleville
Au ciné y'a un beau film avec Annabella

Tant qu'il restera un faubourg
Tant qu'il restera un dimanche
Et rien qu'une fille en robe blanche
On pourra vivre d'amour

Regarde le ciel est rouge sur le quartier Sverdlov
Mon amour c'est dimanche et les beaux jours sont là
Les haut-parleurs sont pleins de Leonid Outiossov
Accordéon greffé de balalaïka

Au grand métro de Moscou j' suis un stakhanoviste
Toi tu travailles au Goum et j' vois pas vraiment qui
Pourrait bien empêcher deux amants communistes
D'aller manger des glaces au parc Maxime Gorki

Et puis on s' baladera sur la Place Rouge en liesse
Pour crier nous aussi quelque nouveau slogan
Saluer nos aviateurs acclamer la jeunesse
Ou célébrer Pouchkine qu'est mort il y a cent ans

Staline l'a dit la vie est gaie elle est meilleure
Et tous nous répétons komsomols et soldats
Oui notre vie est belle comme le hurle le crieur
Ce gamin obstiné qui nous vend la Pravda

Avant de revenir au logement communautaire
Trop plein des réfugiés de Guadalajara
On ira au ciné voir des documentaires
Et le dernier succès de Lioubov Orlova

Tant qu'il restera un faubourg
Tant qu'il restera un dimanche
Et rien qu'une fille en robe blanche
On pourra vivre d'amour
Car on n'est pas venu sur cette planète
Pour n'être que des moins-que-rien
Et d'un coup de torchon ou de mitraillette
Être abattu seul comme un chien

Regarde le ciel est noir du côté Tempelhof
Mon amour c'est dimanche et les beaux jours sont là
Et puisque c'est mal vu d'écouter Claire Waldhoff
Remets donc ce schlager de Wiktor de Kowa ?

Parce que pour la Wehrmacht ça turbine à la chaîne
Chez Siemens cett' semaine on ne s'est pas amusé
Alors j'ai besoin de voir des roseaux et des chênes
Viens donc prendre un bol d'air au bord du Müggelsee

Tu n' trouves pas qu'on ressemble à des Arno Breker
A des aryens modèles tout nus sortant de l'eau7
Lis-moi les titres du Völkischer Beobachter
Pour voir s'il n'y a pas un peu d'ombre au tableau

C'est la Force par la Joie et pour la Volkswagen
Nous l'aurons quelque jour si pareils aux fourmis
Ponctuellement nous versons nos cinq marks par semaine
Demain sera radieux le Führer l'a promis

Si l'on veut que pour cent ans tous ses plans réussissent
Que triomphent à Madrid et Franco et Mola
Nous on devra se contenter de bière et de saucisses
Et de Zarah Leander dans La Habanera

Tant qu'il restera un faubourg
Tant qu'il restera un dimanche
Et rien qu'une fille en robe blanche
On pourra vivre d'amour
Car on n'est pas venu sur cette planète
Pour n'être que de moins-que-rien
Et d'un coup de torchon ou de mitraillette
Être abattu seul comme un chien

Moi si me trouvez un jour
Étendu entre quatre planches
Sous un nuage d'églantines blanches
Ce ne sera pas par bravoure
Ce ne sera pas pour la revanche
Enlevée au son des tambours
Mais ce sera sûrement un dimanche
Et je serai mort d'amour

© 1999 avec l'aimable autorisation de EMC.
Tous droits réservés.

 

 


Annabella.


J'HABITE A DRANCY
Pierre Philippe/Philippe Dubosson

Je contrôle des cylindres
Ouais c'est ça mon bizeness
Et j'attends calmement
Que ces tubes en ciment
Aient bouffé ma jeunesse
Je dis pas ça pour me plaindre

Le soir après les courses
Je grimpe mes quatre étages
Et je regarde la télé
Devant mes surgelés
Courir c'est plus d' mon âge
C'est vrai j' vis comme un ours

Après je'me couche et j' pense
A des riens à mes traites
A tous mes petits soucis
Moi J'habite à Drancy
A la cité de la Muette
On peut dire que j'ai d' la chance

Cité de la Muette tu parles mais pas muette pour tout l' monde
Si seulement une nuit j' pouvais vraiment dormir
S'il n'y avait pas toujours ces drôles de voix qui grondent
S'il n'y avait pas ces murs à sans arrêt gémir

 

Qu'est-ce qu'elle a cette baraque à grincer comme un brick
Qu'est-ce qui peut bien comme ça devoir la tourmenter
La faire pleurer de tous ses moellons et de ses briques
Et me faire somnambule dans mon F3 hanté

 

 

Ce soir je ne veux plus d' pleurs
J'ai trop besoin d' silence
Et me voilà dans la nuit
A faire la chasse au bruit
Frappant avec violence
Mon vieux papier à fleurs

 

Montrez-vous les fantômes
Que je gueule à perdre haleine
Mais soudain je'ne chante plus
Heurté comme par un flux
Par une marée humaine
Un effarant monôme
Et voilà que'je commence
A mieux voir des silhouettes
C'est ceux qui campent ici
Dans mon F3 de Drancy
A la cité d' la Muette
Vous parlez d'un coup d' chance

Ils sont vraiment partout et sans me voir vont et viennent
On dirait ma parole qu'ils sont ici chez eux
Ils sont tout occupés à des tâches quotidiennes
Mais à leurs gestes je vois quelque chose de fiévreux

Ils raccommodent des loques ils astiquent des gamelles
D'autres qui ne faisaient rien soudain se mettent en rang
Pour crier des prénoms… Simon Henri Rachel
Aimé Dora Maurice Lucienne David Laurent

Et maintenant je sommeille
En plein milieu d' la foule
M'habituant à ces gens
Moi aussi criant… Jean !
Avec la chair de poule
Quand un cauchemar m'éveille

Alors je vais à ma f'nêtre
Regarder le trafic
Des nouveaux arrivants
Des nouveaux revenants
Selon l'obscure logique
Que nul ne doit connaître

On leur donne des quittances
Pour les biens qu'ils remettent
En disant grand merci
On vit de peu à Drancy
A la cité d' la Muette
Rendons grâce à la chance

Dormez si vous pouvez étrangers dans mon gîte
Dors toi vieil antiquaire adossé au frigo
Toi tailleur du Sentier que la frayeur agite
Dors toi le Polonais, dors toi le Parigot

Et toi le doux poète Max si tu peux repose
Parmi tous ces enfants dans ma chambre d'amis
Qu'une femme en pleurs berça en leur chantant les roses
Prêtes à cueillir là-bas et qu'elle y endormît

Demain avant le jour
Tout rentrera dans l'ordre
Et vous serez tondus
Il est bien entendu
Que les chiens sont là pour mordre
En route et bon séjour
On va repeindre vos turnes
Mettre du papier à fleurs
C'est la crise du logement
On ne peut éternellement
Se couvrir de malheur
Et de cendres sans urnes

Partout y a des nuisances
Faut plonger sous sa couette
Essayer de faire comme si
Moi j'habite à Drancy

A la cité d' la Muette
On peut dire que j'ai de la chance

© 1999 avec l'aimable autorisation de EMC.
Tous droits réservés.

 


 LA GRANDE EXPO DE L'AN 2000
Pierre Philippe/Adaptation Matthieu Gonet

L'autre matin j' dis à ma bourgeoise
En lisant l' guid' de " Libération "
Paraîtrait que tout Paris pavoise
Pour fêter la Grande Exposition

L'expo de quoi qu'elle me demande
Celle du Nouveau Siècle et d' son tournant
Et j' vois dans ses yeux bleu lavande
L' désir d' s'y rendre incontinent

On te laisse bonne-maman
Gérer l'établissement
Enregistre la Théma d'Arte
Ça traite de l'insécurité

Evite les mots qui blessent
Si les loub' fauchent la caisse
Tu peux bien t'mettre à g' noux
Mais le pitt bull on l' prend avec nous

Frais et dispo
Agitant nos drapeaux
Nous allions à l'Expo
Moi et Thérèse
L'esprit radieux
Nous lancions jusqu'aux cieux
Les accents mélodieux
D' la Marseillaise

Bien vite nous v' la à l'entrée d' la Foire
Au milieu d' la presse des arrivants
Et déjà s'inscrit dans not' mémoire
La majesté de tant d' monuments

Je veux voir la Gal' rie du Suicide
Supplie ma Thérèse en haletant
Oui mais d'abord celle du Génocide
Mon amour dis-je on a le temps

Il y aura d' l'horreur
Des cris et d' la fureur
Les saloperies que s' font les gens
Pour l' plaisir l'honneur ou l'argent

Et si t'as la nausée
On ira s' reposer
Au jardin d' la Souffrance
Du Pavillon d' l'Intolérance

Fleur au chapeau
Nous visitions l'Expo
Sur un joyeux tempo
A la française
Ce siècle neuf
A moi et à ma meuf
Produisait l'effet bœuf
D'une vraie synthèse
On a applaudi ces architectes
Qu'on bâti pour toutes les abjections
Pour les religions comm' pour les sectes
Le mensonge ou la prostitution

Quell' merveill' l'Esplanad' de la Haine
Superbe la Tour de l'Infamie
Puis Thérèse a voulu qu' j' l'emmène
Dans le Hall de l'Epidémie

C'est fou ce' qu'ils ont construit
Rien qu' pour entendr' du bruit
Quant au Palais de la Laideur
Faut dire que c'est une vraie splendeur

Séance de signature
Maison de l'Inculture
Puis grand dîner d' rigueur
Chez Mac Donald et King Burger

Sans nul repos
L'émoi à fleur de peau
Nous écumions l'Expo
Ne vous déplaise
Fiers d' constater
La créativité
D'une future société
En plein' genèse

Le soir descendait sur la coupole
Du Grand Mémorial de la Conn' rie
Quand Thérèse me dit on a du bol
L' ticket donn' droit à la Fêt' de Nuit

C'est un show titré " Gloire à l'Ordure "
Y'aura toutes les stars de la question
Avec la recette pour que ça dure
Ça nous hâtera la digestion

On a vu ces artistes
Penseurs, économistes
Répandre sur la foule en liesse
Les fruits de leur scélératesse

Les gogos en crevaient
Mais ils en r'demandaient
Et pour que rien n' se perde
S'en mettaient jusque là de merde

Sortant de l'Expo
Thérèse dit, à propos
Si on l'faisait, ce loupiot
J'en serai bien aise
Et moi qu' tout ce fric
Avait rendu lubrique
J'y réponds j'ai la trique
Rentrons qu'on baise