Un jour, Jean Guidoni pénétrait
sur la piste du Théâtre en Rond (redevenu aujourd'hui
L'Européen) en chantant Je marche dans les villes, proclamation
signée Michel Cywie et Pierre Philippe. C'est sur les
accents de cette chanson - manifeste que s'ouvre aujourd'hui
le spectacle qui marque les retrouvailles du chanteur et de son
parolier d'origine. Clin d'il au passé, mais signal
aussi de ce que veut être Fin de Siècle, Jean Guidoni a choisi pour "
chanson d'entrée " J'ai marché dans les
villes/musique de François Hadji-Lazro/.
Et parce ce que le chanteur passe de l'horizon d'un seul à
l'horizon de tous, il enchaîne avec Plein vol/arrangements
Matthieu Gonet/, abolition du temps en même temps que
premier salut à son art, celui du music-hall.
Mais comment oublier, même le temps d'une chanson, la réalité
de ce qui se passe en bas, et loin, du côté de l'enfance,
et qui n'est pas toujours du domaine des verts paradis lorsqu'on
est né à Toulon/Musique de Patrick Laviosa/.
Compte réglés avec la jeunesse, il est des bilans
qui s'imposent. Le cinématographe, art du siècle,
du gros - plan révélateur, en fournit le premier
volet avec Etoile en morceaux/musique de François Hadji-Lazaro/.
Du cinéma à la peinture, le pas est franchi. Alors,
chanter Picasso, Matisse ou Braque ? Non, plutôt raviver
le souvenir de ces orientalistes attardés qui ignorèrent
sur quel volcan dansaient leurs pinceaux : Voluptés
d'Orient/Musique Juliette Noureddine/.
Et parce que certains massacres en appellent à la mémoire
de tous les autres, le locataire innocent de la Cité de
la Muette ne peut que se répéter J'habite à
Drancy/musique de Philippe Dubosson/.
Ainsi, partout, au coin de nos rues, que leurs noms soient inscrits
sur les plaques ou effacés à jamais par le temps,
se lèvent Les ombres/musique de Jean-Claude Vannier/.
Ombres pour ombres, il est normal que Jean Guidoni ait inscrit
à ce programme cette chanson qu'il créa en 1982
et dont la cruauté irrévérencieuse était
prémonitoire : Le bon berger/musique de Yani Spanos/.
Et les femmes dans tout ça ? En décidant de revisiter
Monocle et col dur/musique de Juliette Noureddine/, Jean
Guidoni leur dédie l'hommage extrême qui leur revient,
même si c'est au prisme des amours dites "impures
"
L'amour, d'ailleurs, le voici qui fait son entrée dans
Fin
de Siècle avec
une compression des errements contemporains assortie d'un salut
de connivence à Michel Houellebecq : Particules élémentaires/musique
de Matthieu Gonet. L'amour, encore. Trois capitales, et le
même espoir d'une paix illusoire au sein de l'annonce des
menaces, de la présence des oppressions : trois couples
aveuglés par le charme d'Une valse de 1937/musique
de Romain Didier.
L'un, au moins, de ces amoureux-là peut caresser le songe
improbable de forcer l'intimité d'un dictateur à
l'instant même de son trépas, d'ouvrir ses tiroirs
et d'en extraire ses quatre vérités, et c'est une
Berceuse pour le tyran/musique de Didier Goret/.
Rupture. (On sait combien les ruptures sont nécessaires
dans un tour de chant
). Parce qu'il a envie de tirer son
chapeau à quelques " grands " de son métier
sans pour cela oublier de les égratigner là où
ça fait mail (ou du bien), Jean Guidoni célèbre
Ces chanteurs qui n'aiment pas les femmes
/musique de
Patrick Laviosa/.
En rire, bien sûr. En pleurer aussi, peut-être. Parce
que Jean Guidoni osa le premier aborder, pour le grand public,
le thème des amours divergentes, Les boîtes/musique
de Philippe Dubosson/ sont là aujourd'hui pour les
envisager dans l'axe si particulier de cette Fin de Siècle.
Ici, arrêt. La musique laisse un instant la place à
la simple parole. Le chanteur se change en conférencier.
Parce qu'il veut se souvenir. Se souvenir - avant de quitter
ce siècle - de tous ceux qui, comme lui, ont cru conquérir
à jamais le cur des foules tout en sombrant dans
l'immense oubli de ce cur ingrat : Je ne me souviens
pas.
Allons, ne soyons pas si pessimistes ! Ce vint - et - unième
siècle ne s'annonce pas mal : ne s'ouvre-t-il pas par
les merveilles accumulées au sein de La grande exposition
de l'an 2000/musique de L.C. Désormes arrangée
par Matthieu Gonet/ ?
Et lorsque la fête est finie, la boucle bouclée,
le siècle agonisant, ne faut-il pas revenir aux secrets
bonheurs d'un retour à l'essentiel, à la sérénité
de la nature travaillant à notre accomplissement ? Alors,
sans doute, le fantôme de Des Esseintes s'insinue-t-il
en nous pour nous convaincre que, pas plus dans cette Fin
de Siècle/musique de Didier Goret/, que dans la précédente,
rien ne sera donné à l'homme qui ne le laisse dans
la croyance d'un futur lumineux en même temps que dans
celle de la pérennité du désespoir.
Pierre Philippe. |