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Le Théâtre en Rond de Paris direction: Paquita Claude JEAN GUIDONI à partir du 3 novembre 1980 |
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Je sais bien qu'on n'aime pas qu'un chanteur parle... Tais-toi et chante! Et pourtant, ce soir, avant de commencer, j'ai envie de vous parler. Un peu. Parce que le presque inconnu que je suis se doit de dire pourquoi, tout à l'heure, il va avoir le culot de se jeter sur cette piste noire. Presque inconnu je suis, oui. Mais pas débutant, non. Voilà quelques années que j'ai commencé à me colleter avec ce métier, à partir de mon Toulon natal. Quelques années que je cherche. Que je me cherche. Des années à essayer de trouver ma mesure. Et trop souvent contraint à épouser les mesures des autres. Et puis, un jour, il n'y a pas longtemps, la sensation de m'être trompé de vêtement. Il allait peut-être bien aux autres, cet uniforme qu'on prétendait m'imposer, mais il fallait à tout prix que je l'arrache de moi et que je le jette. Je me suis révolté. Socialement, artistiquement. J'ai largué l'image de moi que les "grands électeurs" de ce métier programmaient, et les succès de circonstance. Je suis parti sur des chemins de traverse. Et j'ai fini par y rencontrer des gens qui, comme moi, se cherchaient. Michel Cywie, d'abord, effrayé par la vacuité d'un système dans lequel il s'était taillé pourtant, déjà, une jolie place. Pierre Philippe, ensuite, dont j'avais remarqué le travail auprès d'Ingrid Caven. Je n'était plus seul. Avec eux, j'allais pouvoir jouer mon propre jeu, dans le décor de ces chansons que je vous présente aujourd'hui et avec lesquelles je vais me battre. Douze chansons, plus deux dues à Philippe Dubosson, plus une pour saluer Caetano Veloso, plus une encore pour saluer Marianne Oswald. J'ai choisi le petit cirque noir du Théâtre en Rond de Paris pour vous rencontrer sans masque, sans recul. Et aussi, parce que ce fut autrefois un des hauts-lieux du music-hall. Il me semble que je peux y trouver le public que j'espère. Le vrai. Et moi, petit chrétien jeté aux lions, je dois non seulement ne pas me laisser dévorer, mais apprivoiser ces lions, mieux, me faire aimer d'eux. De vous. Le réussirai-je? Dans une heure, je le saurai. Mais que votre pouce soit dirigé vers le bas ou le haut, au bout de cette piste, sachez que je vous suis reconnaissant d'y être présents, ce soir, autour de ma peur, de ma volonté et de mon espoir.
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Pas une fois, en tournant le coin de la rue Biot, je n'ai pu éviter de bousculer ce gamin émerveillé que ses parents traînaient à "l'Européen", à la fin des années trente. J'en ressortais hanté de visions magiques: Fréhel, énorme et sublime, travestie en Mayol; Jean Lumière masqué par le micro axial, et de qui je cherchais l'il de verre; la minuscule Mireille, blonde et rose, accrochée à son immense piano blanc, et tant d'autres, connus et inconnus, dont une attitude, un mot, une entrée ou une sortie de scène ont marqué le petit garçon que j'était tout autant qu'à d'autres enfants, moins heureux, les stances du Cid, les imprécations de Camille ou le récit de Théramène. Cher "Européen", à l'inépuisable (du moins je le croyais) stock de taps de velours aux couleurs changeantes, subtilement accordés aux costumes des artistes Cher Henri Poussigue dont la main levée, au-dessus de l'orchestre, ouvrait les vannes d'un immense bonheur Et chère petite présentatrice, ancêtre endiablée de nos speakerines d'aujourd'hui, surgissant d'un flot de velours abricot pour annoncer le numéro suivant avant le sacramentel "Eh hop!" repris par la salle. Aujourd'hui, je regarde Jean Guidoni, seul au milieu de la piste noire, sous ce plafond, également noir, dont le stuc doit bien garder quelque écho des temps enfuis, et j'admire comme le destin sait si bien cligner de l'il et nouer des fils qu'on croyait à jamais rompus et dispersés dans les galaxies de la mémoire. J'écoute Jean Guidoni qui m'a ramené ici, comme un sourcier, infailliblement, devine le filet d'eau caché sous les concrétions minérales. Jean Guidoni qui, il y a un an, frappait à la porte d'un homme surpris, réticent, vaguement flatté, et lui demandait, l'air innocent, de l'aider à trouver le chemin de la fameuse source Jean Guidoni qui ne savait rien et qui savait tout. Jean Guidoni qui regardait son époque, son métier, son art, avec des yeux incrédules et avait entrepris sa propre révolution, avec l'obstination rouée de ceux qui ne peuvent pas se satisfaire des normes en vigueur et des certitudes incontrôlées. Jean Guidoni avec qui, durant cette année, j'ai déblayé tant d'idées et de perspectives chaotiques pour retrouver cette route qui ne pouvait que nous amener ici, sous ce ciel de stuc noir, où nous attendait sans impatience le petit garçon émerveillé que je fus. J'ai regardé et j'écoute Jean Guidoni et je crois que les grandes ombres qui se glissent forcément ici ce soir, en se demandant sans doute avec une curiosité ironique ce que ce jeune homme lui aussi hanté vient y chercher, ne vont pas tarder à faire silence, à s'asseoir parmi nous et, dans un instant, à reconnaître en lui l'un des leurs. PIERRE PHILIPPE |
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JEAN GUIDONI
accompagné par Roland Romanelli (direction
d'orchestre, accordéon et claviers synthétiseurs),
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Autour de Jean Guidoni
Jean Guidoni remercie Paquita Claude pour son accueil,
et Pascal Leguen pour son aide précieuse. Il serre la
main de Jerry di Giacomo pour son assistance dans "Tu mourras
ce soir", et celle de Roland Faure pour les accessoires
du spectacle. Il baise celle de Marthe Mikol qui a exécuté
ses costumes de scène. Il salut Sophia Morizet et Jean-Pierre
Ledos qui ont su le photographier, ainsi que Lise Lemaire et
Alain Duverger qui ont été ses attachés
de presse efficaces. |
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